Des nouvelles de la Ferme du Colombet

« Pour vous nous tuons des animaux »


La ferme du Colombet élève depuis une quinzaine d’années des vaches et des volailles en agriculture biologique. L’exploitation était avant à mon père qui était paysan-ouvrier. Quand les usines de la vallée du Gier toutes proches ont fermé (1986), il est devenu agriculteur à plein temps.

Avec Philippe nous sommes 2 associés, à parts égales dans une entreprise agricole qu’on nomme Groupement Agricole d’Exploitation en Commun. Travail, décisions, bénéfices, sont mis en commun, discutés et partagés. Philippe et moi avons tous les mois environ 450 poulets et un bœuf à vendre à nos clients dans un rayon de 30 kilomètres autour de la ferme.

L’AMAP de Croix Luizet en fait partie. Nous livrons une quarantaine de poulets et un quinzaine de colis de 5kg de bœuf tous les mois à la maison du Citoyen. C’est une forme de vente très agréable depuis 2006 ! Merci à vous !
L’AMAP nous permet d’avoir plus de temps pour nous consacrer à notre métier sur la ferme. Les abonnements entre les consommateurs de Croix Luizet et la ferme nous sécurisent et ramènent à l’exploitation un chiffre d’affaires d’environ 11000 euros. La visibilité sur 6 mois nous permet de mieux gérer les stocks d’animaux présents sur la ferme.

Philippe et Florent


Cette visibilité est bien utile dans la conjoncture que nous traversons. En effet, nous devons acheter du blé pour compléter notre alimentation et les cours de cette céréale (liés à un marché mondial) s’envolent. Il en va de même pour le prix des énergies (gasoil, électricité), ou celui des emballages.
Le fait d’être très autonome minimise l’impact des fluctuations du blé. De même la mutualisation d’outils d’abattage, de découpe, et de vente (comme l’AMAP), nous permet de ne pas trop augmenter les prix de notre viande. Enfin nous l’espérons…
Au delà du rythme des saisons qui cycle la vie de notre métier, du changement climatique qui nous impacte, certes, mais qui surtout nous oblige au changement de pratiques, de la conjoncture économique qui fluctue, je suis plus inquiet des bouleversements sociétaux qui secouent le métier.

 Ancien habitant des pentes de la Croix Rousse, je me souviens du regard brillant de mes voisins, amis ou collègues de café quant au détour d’une conversation je leur faisais part de mon projet de reprendre la ferme familiale dans les années 2000. Comme eux, j’avais des aïeux ruraux, des racines bien ancrées dans le terroir.

Mais contrairement à eux, j’avais la chance de pouvoir ne pas couper ces racines. je pouvais continuer à les faire grandir en sous sol et faire grandir avec elles l’arbre de mes envies. Le métier d’éleveur, de paysan, de fermier comme je l’entendais dans les conversations faisait rêver mes interlocuteurs. Rêver ou plutôt fantasmer. Car on m’évoquait tantôt la vie frugale qui m’attendait, le grand air ou le contact avec la terre … Plus prosaïquement je savais que je m’engageais dans un cycle de vie qui allait surtout signifier la sédentarisation de toute ma famille, un rythme de vie qui allait prendre en compte le climat, que mes week-ends allaient être liés à une astreinte prenant en compte des animaux, que mon aversion pour l’administratif devrait être surmontée, et aussi j’allais être une des rares personnes à avoir contact avec la mort de façon hebdomadaire.

Et c’est là dessus que je souhaite conclure ce paragraphe. Car aujourd’hui quand je retourne sur ces mêmes pentes je dis que je suis un cultivateur, que la ferme produit des céréales et que notre exploitation valorise une partie de sa farine en T80. Point de trace de l’éleveur.
Il y a peu de temps lors d’un événement à la ferme, on s’interrogeait sur la ferme à propos d’un slogan résumant notre activité. Et pourquoi pas : « Pour vous nous tuons des animaux ! »

Aussi caricatural que ce soit, c’est la vérité. Aujourd’hui il est très difficile de parler sereinement de ce que je fais : Élever des animaux pour in fine les manger. Le lundi matin j’emmène mes volailles à l’abattoir et j’y travaille car le monde des abattoirs n’est pas très attractif et ne trouve pas de main d’œuvre. Le mardi nous découpons et emballons nos volailles avec mon associé. Là encore ça n’est pas très sexy. Pourtant j’aime ce métier. J’aime quand le lundi je vois que mes volailles sont bien abattues, bien plumées, bien pliées. De même, il me plaît quand le mardi lors des journées d’emballage le travail est bien fait, la réalisation des terrines, des rillettes ou des tripes se passent bien. J’aime enfin quand le jeudi je retrouve la maison du citoyen et que les consommateurs sont là et qu’ils apprécient les produits proposés. C’est aussi simple que cela.
Je ressens bien aujourd’hui que mon métier – celui d’élever des animaux en vue de les consommer (la viande) ou de consommer une partie de leur production (le lait, le miel …) – interroge. Après les scandales sanitaires des années 2000, les années 2010-2020 m’apparaissent comme des controverses ou des disputes sociétales sur le monde agricole. Pourquoi élever si c’est pour tuer ? Jocelyne Porcher une sociologue du monde paysan s’interrogeait dans un livre il y a quelques années (« la mort n’est pas notre métier ») sur le rapport de l’éleveur à la mort. Elle rappelle que si nous restons attentifs à nos animaux et si nous travaillons pour la vie de nos animaux, nous travaillons aussi pour la votre. 


Les sociologues, les anthropologues, les thèses d’étudiants, les travaux de chercheurs en tous genres, les articles de journaux et autres tribunes se multiplient sur le monde agricole. Plus particulièrement sur l’élevage. Est ce une photographie qui souhaite être prise ? un dernier témoignage ? En attendant, aussi pertinent que soient ces écrits, il n’est jamais bon de voir les anthropologues et les sociologues s’intéresser à un pan de société. Il me semble qu’ils ont fait de même avec le monde ouvrier dans les années 80 …


Florent pour la ferme du Colombet
https://www.lafermeducolombet.com